A Dublin, une « ambiance de veillée d’armes » en attendant le Brexit

Dans la cabine de son 44 tonnes, un Volvo FH4 rouge grenat, Conor Leach a accroché un petit fanion aux couleurs du drapeau irlandais. Plié en deux par la douleur, un lutin y vomit des billets de livres sterling. « Malade du Brexit », est-il brodé au fil d’or. « Je me sens exactement comme lui, complètement écœuré », dit ce chauffeur routier de 41 ans originaire de Cork, dans le sud du pays.

Comme son père avant lui, Conor Leach sillonne depuis dix-huit ans les routes irlandaises et britanniques, dont il connaît « chaque dos d’âne et chaque nid-de-poule ». Au moins une fois par semaine, ce petit gabarit aux tempes grisonnantes transporte des carcasses de bœuf congelées depuis le comté de Wicklow, au sud de Dublin, pour être transformées en Angleterre, puis revendues dans les supermarchés irlandais. Chacun de ses chargements vaut une centaine de milliers d’euros. « Mon camion, c’est l’économie irlandaise en mouvement », rappelle ce père de quatre enfants, dont les allers-retours résument à eux seuls l’interdépendance commerciale entre les deux nations voisines. Dans le port de Dublin, à l’embouchure de la sinueuse Liffey, 85 % des rouliers, ces mastodontes du fret maritime, ont pour destination un port anglais.